Des chevaux et des chênes
Un sujet qui fait débat, un peu partout où l’on va : la consommation de glands pour les chevaux est-elle dangereuse ? Je vous ai posé la question, et comme à chaque fois que je le fais, les réponses ont été diverses et variées (je remercie d’ailleurs tous ceux qui ont eu la gentillesse de répondre).
Certains chevaux en mangent depuis des années et n’ont jamais eu de soucis. Pour d’autres, il a suffi d’une saison avec un chêne dans le pré pour provoquer un aller à la clinique vétérinaire la plus proche. Alors, chevaux plus sensibles ? Chêne particulier ? Pour quelle raison certains chevaux consomment-ils des glands tout au long de leur vie sans en mourir alors que d’autres n’y survivent pas ? En vérité, c’est parce que ces chevaux la ont de la chance, rien d’autre.
A la question un cheval peut-il consommer des glands toute sa vie sans déclarer de colique ou de problème de santé la réponse est oui. A la question peut-il le faire sans courir le risque de déclencher une colique grave voire mortelle sans que rien ne l’annonce, la réponse est non. D’où le choix du propriétaire de jouer à la roulette russe, ou non. Pour comprendre pourquoi, nous allons devoir nous pencher sur les chênes et sur les modalités de production du gland par l’arbre.
Les chênes sont des arbres très communs en France, et parmi les différentes espèces présentes sur notre territoire, deux sont principalement impliquées dans les intoxications : le Chêne pédonculé (Quercus robur), le Chêne sessile (Quercus petraea). Cependant, les autres espèces de Chêne contiennent elles aussi des tanins.
Les plantes, qu’il s’agisse des Chênes ou autres, ont développé des composés leur permettant de limiter leur consommation par les déprédateurs comme nos herbivores. Parmi ces composés, nous parlerons aujourd’hui des tanins. La présence de ces composés amers dans la plante lui permet de dissuader pour partie les herbivores de la consommer. Chez les Chênes, ils sont contenus dans toute la plante mais principalement présents dans les jeunes pousses, les galles provoquées par des piqûres d’insectes et les glands. L’intoxication provoquée par les deux premières sources citées ici est très rare, en revanche l’intoxication aux glands est fréquente.
On distingue classiquement deux classes de tanins : tanins compensés et tanins hydrolysables. Les premiers ont pour propriété de se lier à des protéines une fois absorbés, ce qui forme un complexe tanin-protéine que l’appareil digestif ne pourra pas séparer, empêchant l’assimilation de la protéine par le cheval. Une surconsommation de tanins entraine donc en premier lieu une mauvaise assimilation des protéines par le cheval et peut mener à un amaigrissement, une fatigue, un poil terne ou un ralentissement de la croissance chez les jeunes, de la lactation chez la jument et ce malgré du foin à volonté et une ration adaptée.
La deuxième catégorie de tanins, en plus de ces propriétés, est capable de passer dans le sang une fois métabolisée par l’organisme. Après avoir traversé la paroi intestinale, les tanins vont détruire des cellules tout le long de leur chemin jusqu’à leur élimination. Cela inclue donc des dégâts intestinaux, rénaux et au foie. Mais alors, comment est-il possible que d’autres animaux, notamment le sanglier, les cervidés et l’Homme, puissent manger des glands sans soucis ?
Contrairement aux herbivores que nous côtoyons au quotidien comme les chevaux ou les ovins, notre salive est riche en protéine, ce qui lui permet de neutraliser les tanins. Le cheval est capable après une période d’adaptation d’augmenter le pourcentage de protéines présentes dans sa salive et ainsi de neutraliser lui aussi les tanins. Mais ce système a ses limites. Et c’est lorsqu’elles sont dépassées que les problèmes pointent le bout de leur nez. Alors, pourquoi seraient elles dépassées ?
Les Chênes, lorsqu’ils fabriquent les glands, le font sous l’influence des conditions abiotiques (eau, température, climat…). Les tanins stockés en premier dans les glands sont des tanins hydrolysables, qui vont ensuite maturer pour devenir des tanins compensés. Les glands issus de cette maturation seront appelés glands doux, et sont fortement appréciés par les chevaux.
Seulement la maturation des tanins ne peut avoir lieu que si le chêne a le temps de la réaliser. Lors d’une année de sécheresse ou autre stress de l’arbre (parasite, maladie etc…) les glands n’auront pas le temps de devenir matures, c’est ce qu’on appelle les glands amers, riches en tanins hydrolysables. C’est lors d’une consommation de ces glands que l’on constate une intoxication. Et il est impossible de savoir à l’avance si les glands sont doux ou amers (excepté si ils sont encore verts puisque à coup sûr immatures dans ce cas) car la maturation varie d’un arbre à l’autre et même d’un gland à l’autre au sein d’un même arbre. Pourquoi votre cheval irait-il manger des glands verts ou amers ? Par habitude ou par nécessité tout simplement.
Premier cas de figure : Votre cheval est dans une pâture pauvre, peu diversifiée et le foin et autres compléments ne suffisent pas à le sustenter. Il va se tourner vers une source de nourriture facile, les glands présents dans la pâture, qu’ils soient doux ou amers.
Second cas de figure : Votre cheval est habitué à manger des glands depuis des années. Il n’a jamais eu de soucis, et s’est adapté à leur consommation. Il peut donc désormais consommer plus de glands qu’au début, et plus il va en manger, moins fera attention à l’amertume de ces derniers. C’est là que réside le risque. Tant qu’il est en présence de glands doux, aucun souci. Le jour où le Chêne présent dans la pâture est parasité, il se met à produire des glands amers, car il n’a plus les ressources pour mener à bien la maturation de ses fruits. Votre cheval les mangera comme les doux, et s’intoxiquera, venant rejoindre les cas des chevaux ayant consommé des glands toute leur vie pour en mourir d’un beau jour sans qu’on sache vraiment pourquoi.
Voila pourquoi il est indispensable, si vous choisissez de laisser votre cheval consommer des glands, de le surveiller très attentivement et de prendre des mesures de précautions lors des années très sèches ou en cas de galle ou de maladie de l’arbre. Sachant que même comme cela, vous prenez des risques. A chacun de faire ses choix une fois informé
Références:
FOURNIER, P.V., 2010 - Dictionnaire des plantes médicinales et vénéneuses de France, 1047p.
JOUVE, C., 2009 - Contribution à l'élaboration d'un site internet de toxicologie végétale chez les ruminants: monographie des principales plantes incriminées d'après les données du CNITV, 271p.
LOUIS, N., 2004 - Les intoxications équines, état des lieux en France et au Québec, 225p.
http://www.centre-antipoison-animal.com/chene-glands.htmlhttp://www.techniquesdelevage.fr/article-les-glands-de-chen…
http://www.techniquesdelevage.fr/article-tanins-de-la-gene-…